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Tantra, l'étendue
Le mot "Tantra" dérive de la racine "tan" qui signifie l'étendue, la totalité. Il suggère également la trame d'une étoffe. Cette voie mystique a profondément marqué le bouddhisme et l'hindouisme tout en conservant ses propres caractéristiques shivaïtes.
Transmis par de nombreuses lignées dont certaines trouvent leur source il y a cinq ou six mille ans dans la vallée de l'Indus, le Tantra est une voie non-duelle qui est parvenue à son apogée entre le septième et le treizième siècle, dans le royaume d'Oddyâna, au Cachemire voisin et en Assam, situé aux antipodes de la chaîne himalayenne. D'Oddyâna, Padmasambhava introduisit le Tantra au Tibet au huitième siècle, alors qu'à la même époque il se diffusait dans toute l'Inde et au Népal mais aussi en Chine, au Japon et en Indonésie.
Mon maître, la yoginî cachemirienne Lalitâ Devî, appartient à l'école Kaula (la voie absolue, la totalité cosmique dans le corps du pratiquant) et à la lignée Pratyabhijñâ du Tantra qui, unie à la lignée du Spanda, représente la voie tantrique la plus dépouillée. Elle se réfère directement à notre essence originelle. Pratyabhijñâ signifie "reconnaissance spontanée" et Spanda: "frémissement, vibration intérieure" qui émerge lorsque le pratiquant s'identifie au cosmos.
Le travail du yoga cachemirien, décrit dans le Vijñânabhaïrava Tantra, le plus ancien texte sur le yoga qui nous soit parvenu, est celui d'une reconnaissance spontanée de notre essence divine ou absolue qui se traduit par le frémissement intérieur de la non-dualité. Cette voie est celle que je pratique et enseigne, on l'appelle aussi Sahajiyâ, ou voie de l'éveil spontané.
La quête tantrique est entièrement axée sur l'idée qu'il n'y a rien à ajouter ou à retrancher à l'Etre, car il possède l'essence absolue. Située au-delà du dogme, de la croyance, de la religiosité, des préceptes moraux, c'est une ascèse laïque par excellence, totalement intégrée à la réalité de la vie quotidienne. C'est une voie féminine et sphérique qui inclut la totalité des êtres et reconnaît pleinement la puissance de la femme. C'est une voie de retour à la source originelle, à l'être embryonnaire qui inclut la totalité.
Abhinavagupta, le grand philosophe tantrique qui vécut au Cachemire au Xème siècle, donne dans l'un de ses poèmes cette merveilleuse définition de la voie absolue:
"D'emblée situe-toi hors de la progression spirituelle, hors de la contemplation, hors du discours habile, hors de la recherche, hors de la méditation sur des divinités, hors de la concentration et de la récitation des textes. Quelle est, dis-moi, la Réalité absolue qui ne laisse place à aucun doute ? Écoute bien! Cesse de t'accrocher à ceci ou cela et, résidant dans ta vraie nature absolue, jouis paisiblement de la réalité du monde."
L'approche d'Abhinavagupta et de tous les maîtres tantriques de la tradition Kaula est d'exposer l'enseignement en commençant par la voie absolue ou le sans-voie (anupâya) pour aborder ensuite les trois voies traditionnelles. Chaque pratiquant peut ainsi saisir l'enseignement au point le plus haut auquel il ait accès.
- Le sans-voie (anupâya)
"Lorsque transpercé d'une puissante grâce, n'ayant entendu qu'une seule fois la parole du Maître, il discerne la réalité absolue par soi-même, l'absorbtion en Shiva est indépendante de toute progression" , dit Abhinavagupta. Cet être, libéré sur le champ, n'a aucune pratique à accomplir, tout est l'expression du "Je suis".
- La voie divine d'absorbtion immédiate en Shiva/Shakti (sâmbhavopâya)
Si l'on ne peut pénétrer d'emblée l'absolu, certains êtres exceptionnels sont touchés par la grâce d'une grande liberté qui les conduit rapidement à l'identification à Shiva/Shakti. C'est la voie du pur désir, accessible à celui dont le Coeur est ouvert. Ce héros est immédiatement plongé dans l'univers non duel et ne rencontre plus jamais la confusion. C'est la voie d'un éveil spontané et définitif que rien ne vient ternir. Le tantrikâ se tient, vif et alerte, dans une unité continue. Il n'y a plus chez lui de différenciation sujet/objet. Tout n'est que Conscience vibrante en laquelle émergent et disparaissent toutes traces, toutes formations mentales, tout sens de la séparation entre lui et l'absolu. C'est l'essence simple et nue de l'amour divin.
Ce libéré se tient détendu, présent à toute chose, immergé dans le divin.
- La voie de l'énergie de la raison intuitive (sâktopâya)
Lorsque la pensée dualisante s'est apaisée, grâce à l'initiation directe des déesses ou à l'enseignement du Maître et des textes sacrés, le tantrikâ "efface l'odeur de la dualité" grâce à sa raison intuitive. Cette voie est au-delà des divers yoga et des pratiques destinées à affermir le yogin dans la perception non-duelle. Ce pratiquant voit toute chose comme égale à Shiva/Shakti. Tout n'est que Conscience. Les moyens habiles sont en rapport avec le connu, ils ne peuvent dévoiler la Conscience. "Tout ce qui est prescrit ou interdit ne peut servir d'accès ni obstruer la voie de la suprême Réalité" , dit Abhinavagupta.
Ce yogin réalise qu'il n'est pas lié par l'acte karmique, qu'il n'y a pas d'impureté ni de dépendance et que rien ni personne ne peut le priver de Conscience. "Alors, pénétré de l'indentité du Soi et de la Conscience, du corps et de la Totalité, il est l'égal du Divin."
- La voie de l'individu et de la pratique (ânavopâya)
Ici, l'accès se fait au moyen des divers yoga: méditations, visualisations, pratiques enseignées dans le Vijñânabhaïrava Tantra. Progressivement, le pratiquant se libère de la dualité, des noeuds intimes qui empêchent l'éclosion de la Conscience, des routines circulaires, de la peur, de l'angoisse et du sentiment d'être un individu isolé. Peu à peu l'ego se distend, la présence devient continue, la Conscience émerge et la non-différenciation du tantrikâ et de l'univers prépare le yogin à la voie de la raison intuitive.
Ces trois voies ne constituent pas des étapes, elles mènent toutes à la Conscience. L'enseignement ne les utilise pas mais les mêle en fonction de chaque pratiquant, de chaque instant. "Seul l'amour est divin dans cette voie sans illusion. Nul yoga, nulle ascèse ne peut mener à lui."
Pour une vision très complète de ces voies, lire:
Abhinavagupta, La lumière sur les tantra, chap. 1 à 5 du Tantrâloka, traduits et présentés par André Padoux et Lilian Silburn, Publications de l'Institut de civilisation indienne, diffusion De Boccard, 11 rue de Médicis, 75006 Paris.
Trois voies, trois manières de méditer:
Le premier maître tantrique que j'ai rencontré en 1967 était le chef spirituel des Nyingmapa, le grand maître de Dzogchen Dudjom Rimpoché. Il vivait à Kalimpong et la zone étant limitée à une visite de trois jours en raison des troubles frontaliers avec la Chine, Dudjom Rimpoché m'enseigna très simplement trois façons de méditer qui correspondent au tantra du Cachemire et d'Oddyâna, tel que Padmasambhava l'introduisit au Tibet au VIIIème:
La non-méditation
"Installe-toi confortablement dans le calme et le silence, assieds-toi, le dos bien droit, parfaitement détendu, la respiration naturelle, douce et silencieuse et place ton attention dans un état de présence absolue sans que l'esprit erre dans les trois temps. C'est l'état naturel de l'esprit qui demeure spontanément dans l'état de non-distraction, de non-production, de non-méditation."
La méditation du Coeur
" Si tu ne peux entrer d'emblée dans cet état, concentre-toi sur une lettre d'un rouge flamboyant, dans le centre du coeur, de la taille qui te semble appropriée. Que cette image soit vivement présente, sans effort. Qu'elle absorbe toute ton attention."
La concentration et l'apaisement
" Si cette méditation est difficile, prends un objet simple comme un caillou ou un morceau de bois, pose le devant toi, dirige ton regard sur l'objet sans cligner, ne laisse rien d'autre occuper ton esprit et établis-toi dans la présence, d'une manière naturelle et détendue. Regarde tout ce qui peut se présenter à toi sans le saisir et graduellement tu atteindras la paix. Tout ce qui surgit se libère naturellement, sans effort de ta part. Bientôt tu ne pourras plus sortir de cet état non conceptuel et tu n'auras même plus le désir de bouger. Ce sera le signe que tu te familiarises avec l'appaisement et tu parviendras à la spontanéité."
Cet enseignement donné à un complet néophyte m'a été très précieux et jamais je n'en ai trouvé de plus simple ni de plus profond. Aujourd'hui encore, je pratique et j'enseigne de cette manière.
Pourquoi l'assise ?
Méditer, c'est accéder à la partie la plus profonde de notre être, qui, non contaminée par notre culture, nos croyances, nos expériences, notre sens de l'ego et de la séparation, se situe en-deçà de toute scission entre nous et l'absolu. C'est découvrir en soi l'espace et la totalité situés en amont de la pensée différenciatrice. C'est "effacer l'odeur de la dualité" en retrouvant l'état naturel de l'esprit.
Quelle est notre pratique ?
C'est vider notre mental de l'attachement aux formes figées en rendant au corps sa place royale. Le corps saisit naturellement la non-dualité alors que notre esprit ne peut même pas la concevoir. "Le corps est gorgé de toutes les voies, rempli des diverses modalités du temps et le lieu de tous les mouvements spaciaux. Le corps recèle en lui toutes les divinités. Celui qui pénètre ce corps atteint à la libération", dit Abhinavagupta.
Nous vivons l'instant dans la présence non-mentale, dans la présence nue à la réalité qui débouche sur la spontanéité. Enfin naît une joie qui ne dépend plus des circonstances extérieures. Nous atteignons alors la liberté.
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Entretien pour Nouvelles Clés
Le Tantra, ce n'est pas ce que l'on croit.
Le tantra est au delà de toute expérience.
À l'écoute du regretté Jean Klein pendant de nombreuses années et s'inscrivant dans le courant du tantrisme cachemirien, Éric Baret s'exprime, libre de toute codification rituelle. Pas d'enseignant, ni d'enseigné. L'enseignement est Silence. Il se manifeste, éventuellement, par la disponibilité au ressenti corporel tel qu'évoquée dans les grands textes comme le Vijnanabhairava Tantra. Après Les Crocodiles ne pensent pas ! et L'Eau ne coule pas, la parution d'un troisième recueil d'entretiens, Le Sacre du dragon vert, est prévue pour le printemps prochain.
Nouvelles Clés : Face à toutes les définitions qui en sont proposées, et à la lumière de votre expérience, pouvez-vous clarifier ce qu'est le tantrisme ?
Éric Baret : Les expériences vont et viennent, le tantrisme reflète ce qui est au-delà de l'expérience. Au niveau pratique, dans le sens classique de l'Inde, il est l'expression journalière de cette non-expérience.
N. C. : Rien à voir, donc, avec l'imagerie énergétique, magique et sexuelle que le tantrisme véhicule en Occident ?
É. B. : Les gouttes de tantrisme qui ont été formulées en Occident sont de lointaines prolongations du tantrisme traditionnel... Ces éléments sexuels, comme tous les arts, font partie du tantrisme. Mais pas plus que l'art du combat, l'art de la construction des temples... Également l'art des pratiques nommées sexuelles, qui ont été codifiées. Mais c'est un tout petit fragment. Quand on lit les grands textes du tantrisme cachemirien, par exemple le Tantraloka d'Abhinavagupta, il y a peut-être une cinquantaine de pages qui se réfèrent aux pratiques « sexuelles », et il y a deux mille pages qui se réfèrent à d'autres éléments.
Yoni, la matrice originelle symbolisé par l'organe sexuel féminin, est figuré dans ce mudra par la disposition en triangle
des doigts.
N. C. : Vous parlez parfois du tantrisme comme d'un « courant », indépendant de toute culture, ou tradition..
É. B. : C'est un courant. Mais pas d'affirmation, de réponse, de savoir. L'enseignement tantrique pose des questions. Il ne répond jamais. S'il répondait, il proviendrait de la mémoire, il serait dans le connu. Faire face au présent affine le questionnement.
N. C. : Vous-même, quand avez-vous eu cette intuition ?
É. B. : Je n'ai jamais rien eu, mais j'ai rencontré quelqu'un qui avait actualisé dans sa vie cette interrogation vibrante. C'est ce qui m'a touché.
N. C. : Cet ami, pouvez-vous nous dire qui c'est ?
É. B. : Il s'appelait Jean Klein.
N. C. : Pour goûter, ou retrouver, ce pressentiment,
le maître est-il indispensable ?
É. B. : Pour ce qui est du pressentiment essentiel, on ne peut pas répondre, parce que le maître qu'on rencontre n'est pas à l'extérieur de soi. Quand on rencontre son maître, c'est soi-même qu'on rencontre. Donc le problème ne se pose pas. Pour ce qui est de la codification, de la pratique du tantra, ou celle du yoga, on peut dire : oui, le maître technique est indispensable. Il faut quelqu'un qui ait déjà parcouru le chemin. Dans la tradition du Cachemire, des coups de mains sensoriels sont suggérés pour approfondir ce ressenti : yoga, travail sur le souffle, sur les mantras... Tout le travail qu'on appelle tactile, sensoriel, que ce soit seul ou avec un partenaire, faisait partie, pour Jean Klein, de cette intégration du pressentiment initial.
N. C. : Pourquoi tant d'importance accordée au ressenti ?
É. B. : On peut aisément voir que la plupart des gens sont constamment en train de penser. Quand ils marchent, quand ils mangent, quand ils font l'amour, ils pensent... C'est facile à constater. Quand on a vu cela en soi, une certaine disponibilité peut venir. Ce qui fait penser, c'est l'idée d'être une personnalité. On a une personnalité qui existe uniquement en fonction du futur et du passé. Elle existe en relation. Quand on abdique cette prétention à être une personnalité, il n'y a rien à penser. Les choses se présentent d'elles-mêmes. À ce moment-là, il n'y a pas de futur, il n'y a pas de passé. Donc, ce qui est présence - pas présent, parce que ce présent, c'est le passé - est sensoriel. C'est une façon d'être d'instant en instant. Ça ne veut pas dire qu'à certains moments, si de nouveau l'image d'une personnalité apparaît, il n'y a pas à nouveau un futur et un passé, bien sûr. Mais on se rend compte de ça. On observe, sans juger, sans vouloir changer. Et, à un moment donné, on s'aperçoit qu'on n'a plus le dynamisme de constamment vouloir se penser. C'est alors que la vie quitte les codifications mentales, morales de toute société classique. La vie n'est complexe que quand on pense : "Qu'est-ce que je vais faire tout à l'heure ? "," Qu'est-ce que j'ai fait hier ? ", " Est-ce que j'ai bien fait ou non ? ", " Est-ce que je vais bien faire ou non ? "...
N. C. : Et dans l'instant présent, est-ce que je " fais "?
É. B. : En vérité, on ne fait jamais rien. On prétend faire. C'est après qu'on s'approprie l'acte. Mais il n'y a jamais d'acteur. C'est un concept d'être un acteur. Pendant l'action, il n'y a qu'action. C'est un mouvement fonctionnel, le corps a bougé, sans réflexion. La situation amène sa solution.
N. C. : Est-ce l'attention portée au ressenti corporel qui vous amène à cette prise de conscience ?
É. B. : La vie sensorielle est sans inquiétude, sans demande, sans remord. Les choses sont ce qu'elles sont. C'est la manière de vivre créative: on ne sait rien, on ne veut rien, tout ce qui arrive on le veut, parce que c'est là. Il ne peut rien y avoir de plus grand que ce qui est là dans l'instant. Le reste est fantaisie. La spiritualité est une fantaisie, une psychopathie. La spiritualité, c'est uniquement ce qui est là dans l'instant. Toute la beauté est là. Si je pense à demain, à hier, j'insulte le moment. À vrai dire, j'ai peur du moment, j'ai peur de n'être rien, j'ai besoin de défendre mon image. Or, dans l'instant, on ne peut rien être, ni défendre, on n'a pas de prétention à être quoi que ce soit. Alors, qu'est-ce qui pourrait gêner ? Psychologiquement, j'entends. Le corps, bien sûr, est là : la jambe bouge, le chien mord la main, on va réagir, ça c'est fonctionnel. Mais la réaction psychologique de vouloir être une personnalité, être aimé, être approuvé... cela vous quitte complètement.
N. C. : En quoi, précisément, la vie est-elle " plus facile ", pour vous ?
É. B. : Si l'on est psychiquement réactif, c'est que l'on est dans une histoire, que l'on se prend pour un personnage avec son cortège de drames inévitables. Or, je ne suis rien du tout. Peut-être que demain j'aurai une dépression nerveuse parce que ce pigeon, là en face, m'a marché sur le pied. Quelqu'un dont le fantasme est d'être libre, d'être sage, ne peut plus respirer, est tenu à être libre. Sans être tenu à rien, triste, coléreux, jaloux, irrité par le désir, par la laideur, par la lâcheté. Bien sûr, c'est merveilleux comme ça, mais je ne me cherche pas là-dedans. Donc ces états, s'ils viennent, occupent très peu de place, prennent très peu d'énergie. Si on ne se défend pas, tout est beauté. Mais quand on veut être libre, quand on veut être un sage, on vit dans des concepts.
N. C. : Une des conséquences de la pratique tantrique, c'est une très grande liberté ?
E. B. : On ne peut être libre que dans l'instant, parce qu'il n'y a rien d'autre que l'instant.
Se dire : " Je veux être libre pour toujours ", c'est de la peur. C'est comme avoir un mari pour toujours, un amant fidèle pour toujours, un chien pour toujours, la jeunesse pour toujours, de l'argent pour toujours... Non, il n'y a pas de sécurité. C'est cela, la beauté de la vie.
N. C. : Si tout est dans l'instant, s'il n'y a pas de devenir, il n'y a donc pas non plus de chemin!... Qu'est-ce que la voie ?
E. B. : Le yoga, le tantra, la pratique, commence quand quelqu'un vient et qu'il n'a rien à demander. Quand quelqu'un vient avec des questions, dans l'attente de réponses, on est obligé de donner des calmants. Tous ces états, toutes ces pratiques assidues ne sont rien d'autre que des calmants pour les esprits agités. Quand surgit la véritable interrogation, profonde : " Qui suis-je ? ", on ne demande plus rien. Là, l'enseignement arrive. Il arrive dans cette disponibilité. Quand on veut être enseigné, quand on veut savoir, c'est qu'il y a peur. On n'est pas prêt. C'est quand quelqu'un ne veut plus rien, ne sait plus rien que, vraiment, il peut être totalement présent.
N. C. : Revenons à cette part de l'enseignement tantrique qui fascine les Occidentaux :
les pratiques sexuelles...
É. B. : Le plaisir, pour la majorité des gens, c'est une projection mentale. Il faut vraiment se rendre compte, au niveau plaisir et douleur, qu'il est exceptionnel de sentir un plaisir sans fantasmer dessus. Êtes-vous capable de ressentir une caresse sans faire d'histoire, sans bâtir une histoire autour, sans vous demander de qui elle vient, ce qu'elle signifie, etc ?
La réceptivité sensorielle va très loin. Cette exploration fait partie de la démarche tantrique. Voir à quel point ce qu'on croit être ressenti est, en fait, pensé. On ne ressent pas :
on pense le ressenti.
N. C. : Et quand on commence à penser un peu moins ?
É. B. : C'est surtout le premier temps qui compte. Quand on se rend compte qu'on ne sent pas, il y a des moments où le ressenti commence à respirer.
N. C. : Et maithuna, dans tout ça ?
É. B. : maithuna, c'est un mot comme un autre. Toute perception est maithuna. Samyama, faire un avec, ce qui est mal traduit par identification, mais qui veut dire, plutôt, non-séparation. Quand vous regardez ce gazon, ou cet arbre, il y a non-séparation. Le fait de voir, sentir, toucher, c'est évidemment sexuel... C'est la sensorialité. Le yoga amène une délocalisation du corps. On voit, on sent, on entend, on écoute avec tout le corps. Alors, éventuellement, la technique tantrique dans le sens très limité du mot « sexuel » va vous faire approfondir cette capacité d'entendre avec les pieds, de sentir avec le dos, de lécher avec les bras. Ca va être une transposition de tous les sens. Les cinq sens vont être complètement mêlés, il n'y a pas de séparation. Plus ils se mêlent et plus la pensée est absente. Le grand travail tantrique, c'est le mélange des cinq sens. Se rendre compte, profondément, que les cinq sens sont un seul sens : la sensorialité. Pouvoir rester dans cette sensorialité sans passé, sans futur, sans pensée. Ensuite, tous les détails, on peut les travailler à l'infini. Chaque école s'est spécifiée. Selon chaque caractéristique humaine, on peut approfondir techniquement. Chaque personne va aborder le corps tactile de manière différente. Donc tout ce qui est technique est individuel, dépend de ce qu'est la personne, de ce qui lui convient.
N. C. : Qu'est-ce qu'a changé, pour vous, cette ouverture à la sensorialité ?
É. B. : Profondément, ce que ça change, c'est l'absence de besoin de se trouver en situation. Voilà ce qu'amène tout ce travail sensoriel : une cosmicité corporelle qui fait qu'on se sent un avec ce que l'on voit et ce que l'on rencontre. Une non-identité, donc une facilité d'être dans les situations de la vie. Plus de besoin compulsif. On n'a plus besoin d'être aimé pour être heureux. La liberté sensorielle, c'est l'amour sans objet.
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La vision du Tantra
La vision du TantraLa vision du Tantra est une des plus précieuses qui nous ai été données. Le Tantra est une spiritualité sans prêtre, une spiritualité sans temple, une spiritualité sans organisation, une spiritualité qui ne détruit pas l'individu mais qui au contraire le respecte, une spiritualité qui fait confiance à l'homme et à la femme ordinaire. Et, cette confiance est profonde. Le Tantra a confiance en votre corps. Aucune religion ne fait confiance à votre corps. Et, quand les religions ne font pas confiance au corps, elles créent en vous une division entre vous et votre corps. Elles vous rendent ennemies de vos corps, elles détruisent la sagesse du corps.Le Tantra croit en votre corps. Il croit en vos sens. Le Tantra a confiance en votre énergie, il a confiance en vous -- TOTALEMENT. Le Tantra ne dénie rien, mais au contraire transforme tout.Comment arriver à la vision du Tantra ?La première chose est le corps. Le corps est votre base, votre maison, c'est là que vous êtes centré. Vous rendre antagoniste avec votre corps, c'est vous détruire, c'est vous rendre schizophrène, c'est vous rendre misérable, c'est créer votre enfer. Vous êtes le corps. Bien sûr, vous êtes aussi autre chose que le corps, mais ce " plus " arrivera tout seul bien plus tard. D'abord, vous êtes le corps. Le corps est votre vérité de base, c'est pourquoi, vous ne devez pas aller contre votre corps. Chaque fois que vous êtes contre votre corps, vous êtes contre Dieu. Chaque fois que vous ne respectez pas votre corps, vous vous déconnectez de la réalité, car le corps est le contact. Votre corps est votre pont. Votre corps est votre temple. Le tantra enseigne la révérence envers le corps, l'amour et le respect de son corps, et même la gratitude envers celui-ci. Le corps est une merveille. C'est le plus grand des mystères."
Osho Tantra vision
Émerveillement ordinaire
Dans Tantra, l'initiation d'un Occidental à l'amour absolu1, Daniel Odier racontait sa rencontre et son initiation au tantrisme cachemirien auprès d'une yogini indienne, Devî. Depuis trois ans, il transmet les enseignements de l'école Pratyabhijnâ de la « Reconnaissance spontanée » du Soi.
Nouvelles Clés : Tradition indienne d'origine lointaine, voie spirituelle toujours d'actualité, système de pratiques énergétiques et sexuelles : dès que l'on parle de tantrisme, en Occident, la confusion règne... À la lumière de votre expérience,
qu'est-ce que le tantrisme ?
Daniel Odier : Le tantra est, pour moi, une voie millénaire et absolue en laquelle chacun est " reconnu " comme ayant en son propre coeur les attributs de la divinité (" Reconnaissance spontanée " : c'est le sens du mot Pratyabhijnâ, l'école dont j'ai reçu la transmission de mon maître cachemirien, la yogini Devî). Le Soi est Shiva, la conscience porte en elle l'essence du divin. La voie consiste à reconnaître cette essence en soi, par l'enseignement ou de manière spontanée.
N. C. : Rien à voir, donc, avec les pratiques ou thérapies sexuelles qui ne cessent de se multiplier sous le nom de " Tantra " ?
D. O. : Pour moi, il n'y a pas de tantra sans transmission et sans lignée qui remonte à la source, et toute la confusion vient de là. Les lignées du " néo-tantra " ne remontent pas en deçà de leurs initiateurs, elles ont une trentaine d'années. Depuis toujours, le mot " tantra " a fasciné, et les écoles les plus étranges s'en sont réclamées. Il y a eu des sectes qui promulguaient le meurtre rituel, comme les fameux Thugs, dont l'origine remonte au Moyen-Âge et qui se transformèrent en guerilleros contre les colons anglais, mais aussi d'autres sectes pour lesquelles le cannibalisme ou la violence contre les brahmanes faisaient acquérir des mérites spirituels... La force du tantra, c'est qu'il balaye toutes les déviances apparues depuis un ou deux millénaires. Les déviances contemporaines sont très « soft » et mineures, en importance si ce n'est en nombre, et si naïves qu'elles se sont toutes accrochées à la sexualité, qui est vraiment le miroir aux alouettes contemporain. Mais on peut comprendre ce désir de transformer une voie millénaire d'une profondeur et d'une subtilité incomparables en " prêt à jouir " spirituel : c'est notre tendance générale actuelle. Elle vient simplement de l'ignorance et de l'absence de filiation. Ceux qui prétendent l'enseigner n'ont même pas eu accès à la partie « sexuelle » des enseignements auxquels ils se croient rattachés, et qui dans la tradition n'est enseignée que de manière exceptionnelle. Elle n'est d'ailleurs absolument pas indispensable, et on peut parcourir toute la voie traditionnelle sans qu'elle ait lieu.Il y a donc un leurre total. Les thérapies sexuelles telles qu'elles sont apparues dans les années soixante ont leur valeur propre, leurs connaissances profondes des mécanismes sexuels et de leurs techniques. Elles n'ont pas besoin du passeport mystique. Pourquoi leur accoler le mot " tantra " ?
" Ressens la conscience de chaque être comme ta propre conscience. " Vijnabhairava tantra
N. C. : D'où vient, pourtant, que le tantrisme véhicule une image à ce point associée
à la sexualité ?
D. O. : La sexualité du tantrika, c'est le rapport de toute la sensorialité avec le monde. C'est le frémissement (spanda) qui naît lorsque le désir se satisfait de sa propre incandescence en ayant abandonné toute idée d'atteindre un être ou un objet. Il y a alors complétude. Un être qui a besoin de l'autre pour masquer son incomplétude, ou pour la nourrir, ne connaît que des " rapports sexuels ", une tentative illusoire d'achèvement qui tient du cannibalisme mutuel et porte en lui de la violence, du désespoir et une certaine forme de désillusion, de beauté tragique, qui est d'ailleurs l'une des matières premières de l'art. Pour celui qui est sur la voie tantrique, l'union sexuelle peut être une manière de jeu merveilleux qui commence à être vécu, par instants de grâce, comme une expérience directe, sans que la pensée différenciatrice s'impose. C'est un jeu passionné sur un terrain accidenté où l'aspirant touche aux limites de son abandon, au surgissement de la pensée, au blocage de la spontanéité, au manque de confiance qu'il peut avoir quant à la sagesse de son propre corps. Lorsque cela peut être vécu de cette manière, c'est une ascèse, car on s'aperçoit très vite de nos limitations, de nos projections, de notre solitude que nous cherchons à masquer au lieu de la vivre. Aller au fond de sa solitude, c'est voir qu'elle est une construction mentale et la faire éclore dans l'expérience non-duelle. Ces jeux nous aident à frôler l'essence des choses et, lorsque la paix profonde de la yogini accomplie touche la paix profonde du yogin, se révèle la puissance de la Shakti qu'on appelle Kundalini. À cet instant, il n'y a pas de dualité, pas de début, pas de fin, pas de « rapport », mais un frémissement qui, comme l'amour, ne saurait naître, atteindre son acmé puis disparaître. Lorsqu'il y a sexualité, il n'y a plus d'espace-temps. Il ne s'agit pas de transcender le désir mais, au contraire, de le porter à une telle incandescence qu'il inclut " l'autre " dans son propre frémissement.
Maithuna, le rituel d'union sexuelle L'initiation telle que je l'ai reçue est celle du frémissement de tous les sens, qui retournent ainsi à leur demeure qu'est la Conscience. Pour le tantrika, il n'y a pas de différence entre un rapport sexuel génital et le rapport sensoriel que nous entretenons avec la réalité qui nous entoure. Pour lui, l'activité ne mène pas à la Conscience : elle en procède, et y retourne, après s'être unie à l'objet. Rien ne vient de l'extérieur. La Conscience coule telle une source vers le monde, le touche profondément, en son noyau incandescent et frémissant, et revient à la Conscience dans une circulation continue. Maithuna est la reconnaissance que cette liberté est déjà atteinte par l'aspirant, et que le fruit du yoga est mûr. En aucun cas ce n'est un rituel dans le sens d'un acte magique qui permettrait de goûter à un état de plénitude qui nous ferait défaut. Pour prétendre à l'initiation, il faut avoir réalisé que le désir ne saurait se satisfaire d'un objet, et que l'incandescence est ce qui demeure quand le désir de quelque chose est consumé. Le samâdhi frémissant et continu est la porte étroite d'accès à maithuna, car l'union symbolise l'union préalable du tantrika et de l'univers. Beaucoup de maîtres la donnent d'ailleurs par le regard, le rêve lucide, le contact non génital,
la voix ou l'esprit. D. O.
N. C. : On parle souvent de " voie
de la main droite " et " voie de la
main gauche ". Qu'en est-il de cette distinction ?
D. O. : Dans les réunions tantriques, au Cachemire, les adeptes qui pratiquent le rituel sexuel sont placés à la gauche du maître, les autres à sa droite. Comme ils sont assis en cercle, il y a un moment où la gauche n'est plus différente de la droite... Par extension, ceux qui pratiquent les trois M, c'est à dire consomment de la viande (mâmsa) à l'occasion, de l'alcool (madya) ou des substances hallucinogènes, et pratiquent l'union sexuelle (maithuna) sont considérés comme pratiquants de la main gauche. Mais, plus généralement, on peut dire qu'un maître authentique pratique avec l'intégralité de ce qui est, et que, même sans avoir reçu de transmission sexuelle, on peut être considéré comme pratiquant de la main gauche lorsque les sentiments violents sont intégrés à la voie. Même le maître le plus doux sera, à l'occasion, un maître de la main gauche, lorsqu'il faudra que le disciple affronte sa peur fondamentale. Fondamentalement, ce sont des divisions d'universitaires puritains qui se servent de cette dualité pour condamner la voie de la main gauche. Ces divisions ne correspondent pas à la réalité.
N. C. : Vous-même, vous avez reçu cette initiation à maithuna2. Vous l'évoquez dans votre livre. La transmettez-vous ?
D. O. : Je ne me sens pas encore la capacité de la transmettre, car je sais ce qu'elle est en réalité. Les vrais chercheurs n'aspirent pas à l'union sexuelle avec celui qu'ils suivent, mais à la conscience du Soi. Je les respecte. Lorsqu'il n'y a ni tabous, ni puritanisme, ni soif de pouvoir, ni prétention à être un maître, ni limite, il n'y a pas de passage à l'acte, tout n'est qu'harmonie, grâce et spontanéité.
N. C. : Quel est le rôle du maître, dans la tradition tantrique ?
D. O. : Dans un sens profond, le maître n'est que le miroir de notre propre liberté fondamentale. Il n'est jamais un intercesseur, il n'a rien à nous donner, nous avons tout en nous. On dit qu'une sadhana commence lorsque le disciple comprend qu'il n'est pas différent du maître. Il n'y a donc jamais d'allégeance. On peut dire que les maîtres tantriques sont là pour faire éclater le syndrome de soumission. Un maître nous pousse à l'examen, à la critique, à la vigilance, à l'irrespect, au non-conformisme, d'autant plus qu'il accepte et montre que le travail est incessant, même pour lui. Aucun maître tantrique ne devrait d'ailleurs se présenter comme un maître, puisqu'il n'a rien à transmettre. Tout est déjà présent chez le disciple. Ce qui se manifeste dans ce rapport, c'est de l'amour sans objet qui dissipe simplement les brumes et les opacités qui nous faisaient croire que quelqu'un allait nous libérer. On se met à l'écho de la spontanéité de celui qui nous accompagne dans cette reconnaissance, pour nous faire goûter à la liberté d'être.
N. C. : Quelles sont les qualités requises pour suivre cette voie ?
D. O. : L'incandescence, la passion, l'acceptation intégrale de ce qui constitue l'être humain, l'ombre et la lumière. L'allergie aux groupes, aux préceptes, à l'obéissance, à la purification, aux croyances de toutes sortes, à tout attrait New Age. Le doute par rapport au maître, l'absence de doute par rapport à ses propres capacités. Le simple désir de ne rien être d'autre qu'un être ordinaire jouissant de l'intégralité de ses capacités au sein d'une société telle qu'elle est. Il n'y a pas de place, dans le tantrisme, pour le surhomme détenteur de secrets et de pouvoirs extraordinaires ; donc pas de place pour le rêve romantique du sacré. Rien que la réalité intégrale.
N. C. : Pas de place, non plus, pour cet autre rêve romantique d'une relation amoureuse " épanouie ", " sacralisée " par la pratique tantrique ?
D. O. : Encore une fois, nous avons affaire à un fantasme d'Occidental. La sexualité est, dans l'égalité avec toute autre manifestation de la sensorialité, un lieu de Conscience. D'ailleurs, dans les pratiques du Vijnânabhairava tantra, sur cent-vingt ou cent-trente pratiques, il n'y en a que trois qui concernent maithuna. C'est dire à quel point la sexualité, dans le sens où nous l'entendons habituellement, est intégrée au tout. Pratiquement, il y a un abandon au souffle profond, qui fait qu'il n'y a plus de différence entre maître et disciple. À ce point, l'identité se fête par la Grande Union. Alors, l'orgasme n'a plus besoin de la détente de l'éjaculation, car le tantrika a intégré l'énergie féminine. L'idéal tantrique est celui de l'intégration de la dualité homme-femme dans la plénitude. Shiva est souvent représenté comme un hermaphrodite. Il est capital de bien comprendre qu'on ne dévoile pas la Conscience à coups d'exercices énergétiques, d'agitation, de gesticulations, de danses pseudo-chamaniques et autres friandises du " faire ", mais par la lente et douce émergence de l'amour sans objet, qui attend paisiblement que nous cessions de poursuivre l'inatteignable.
" Le corps est lieu de l'éveil. On ne dévoile pas la conscience par la visée active d'un objectif, mais par la douce émergence de l'amour sans objet. "
N. C. : En quoi la sâdhana du tantrisme peut-elle convenir aux Occidentaux ?
D. O. : Le tantrikâ considère qu'entrer dans la voie, c'est accepter son corps, sa sensorialité, ses émotions et ses pensées comme le lieu même de l'éveil. Mais il considère également que ce noyau de conscience incandescent est sous-jacent à toute manifestation de l'univers. Tout n'est que conscience, pour lui. Sa pratique est donc de laisser affleurer la conscience dans tous les mouvements de la vie, afin que la conscience intérieure et la conscience extérieure s'unifient dans leur réalité commune, et que cesse la perception fallacieuse de la dualité. Cette non-séparation du tantrikâ et de l'univers me paraît merveilleusement adaptée à tous ceux qui sont insatisfaits par les dogmes, les croyances et l'assujettissement à une autorité religieuse. Pourtant, c'est une voie difficile, car elle passe par l'abandon de tous les points d'ancrage et nous, les Occidentaux, en avons beaucoup. Ce n'est surtout pas une voie de facilité, et nous aimons la facilité ; nous aimons tout ce qui nous détourne de notre solitude. C'est une voie théoriquement simple mais pratiquement ardue, parce que non fantasmatique, fondée uniquement sur la Réalité au sein de la société, sans aucune échappatoire, sans possibilité de fuite dans le merveilleux, le rituel, la magie, les vies antérieures, les autres mondes, la métaphysique.
N. C. : Nombre de ceux qui cherchent une voie spirituelle sont motivés par un manque, un vide qu'ils disent ressentir dans leur vie. Ils espèrent un soulagement.
D. O. : La vie est insupportable tant qu'on ne la vit pas. La pratique n'est rien d'autre que la présence à la réalité. Lorsqu'on est présent, la lumière et la joie se dégagent de la banalité même, donc n'importe quelle perception, n'importe quelle émotion, n'importe quelle pensée, n'importe quelle action nous réveille à notre propre plénitude. C'est ce que nous appelons " l'inversion du support ". La vie ne change pas : c'est notre regard qui se modifie.
N. C. : Qu'est-ce que la pratique tantrique a changé dans votre vie ?
D. O. : Je suis passé de l'absence et de l'automatisme généralisé à la présence progressive, donc à la sensibilité toujours plus profonde de ce qui est là, spatial, étincelant, entrecoupé de moments d'absence qui sont considérés comme des préludes au rejaillissement de la Conscience. La culpabilité s'est graduellement éteinte et la spontanéité s'est accrue. Lorsqu'il y a ouverture, je peux accepter mon trouble ou mon absence. L'émerveillement devant la réalité croît de jour en jour, les contacts sensoriels sont de plus en plus fins, si bien que tout fait entrer en frémissement. Les émotions ne sont plus antagonistes à la voie mais, libérées, elles deviennent au contraire son véhicule. La libre circulation des choses est de moins en moins bloquée par le mental, et la joie jaillit spontanément. L'action est plus immédiate, plus limpide. Il y a plus de lenteur, de grâce, de non-réactivité. La conscience des blocages est rapide, et l'auto-libération des phénomènes plus habituelle.
N. C. : Et dans la relation amoureuse ?
D. O. : Dans la relation amoureuse, ou dans la relation à " l'autre ", cet " autre " disparaît en nous comme nous disparaissons en lui, dans le même mouvement. Il n'y a donc plus de projections. Reste l'amour, non de quelque chose ou de quelqu'un, mais l'amour tout court. Disons, plus simplement, qu'il y a une reconnaissance presque constante d'être en vie.
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Le couple tantrique ou l'Art d'Aimer.
Sans ouverture du coeur, sans un amour non égoïste, compassioné, qui sait donner et recevoir sans projections ni phantasmes, la réalité de votre relation restera déséquilibrée.
Rappelons que nous nous plaçons sur un plan énergétique de niveaux de conscience: du plan le plus grossier qui correspond au plan physique, matériel, jusqu'au plan le plus subtil de la conscience pure, indifférenciée. Rappelons que nous oscillons entre les deux polarités, Shiva-Shakti, yin-yang, masculin -féminin, positif-négatif, et que l'être complet, «réalisé» comme on dit, est celui qui a su intégrer ces deux énergies, en lui. Ces deux polarités subissent le principe, bien connu en physique, de l'attraction et de la répulsion
Sans faire un historique, disons certaines choses qui, pour le tantra et ses disciples, sont primordiales et "vont de soi".
Tout d'abord, le corps humain est le réceptacle du divin. Chacun en prends grand soin à tous les niveaux: propreté, nourriture, pensées positives C'est le véhicule de l'âme qui nous a été, en quelque sorte, confié, pour cette vie.
D'autre part, les tantrikas (les adeptes du tantra) reconnaissent la primauté du féminin sur le masculin, des énergies d'essence féminine, dans les manifestations de la vie. Ainsi voient-ils, dans la femme, l'image symbolique de l'univers en mouvement, Shakti. L'homme, Shiva, symbolisant l'axis mundi, le pilier central, qui met en mouvement. L'un sans l'autre ne pouvant exister ou, tout du moins, venir à la manifestation. Cette importance accordée aux énergies féminines créativité, intuition, coeur, compassion, émotions face aux énergies masculines action, loi, ordre, se trouve dans toutes les facettes du tantra: tant en art, en rituel, en techniques d'accès au divin. Mais, comme le représente le symbole du yin/yang où se trouve mêlé, assemblé les deux énergies, dans l'une on y trouve l'autre et inversement; elles sont indissociables.
Energie masculine, énergie féminine.
Vouloir pratiquer le tantra, se dire tantrique comme on peut l'entendre, c'est reconnaître en soi, mais aussi, à l'extérieur de soi et en particulier chez l'autre, la présence de ces deux énergies.
Si je suis un homme, j'ai une dominante d'énergies masculines, mes énergies féminines étant, le plus souvent, non reconnues par moi
et masquées. J'ai un comportement où domine l'agir, le faire, la volonté de domination, de pouvoir et où les sentiments, la sensibilité ont peu de place. Si j'aime une femme, il est difficile pour moi de le lui exprimer: l'amour est d'essence féminine. J'ai un rôle à tenir, je dois rester maître de la situation en toutes circonstances, et l'expression de mes sentiments les plus profonds serait susceptible de me déstabiliser, de me faire perdre la face. C'est ce que peux penser une majorité d'hommes. Me "laisser aller" à montrer mes sentiments, tristesse, pleurs, joie profonde et amour serait dévalorisant pour mon "image de marque"! Mais si je suis ouvert, et si je comprends qu'une personnalité équilibrée marie le masculin au féminin, en moi, alors je laisserai fleurir ma créativité dans tous les aspects de ma vie: professionnel; sentimental, spirituel, dans l'art et toutes activités autres, en me laissant surprendre, voire remettre en cause.
Si je suis une femme, par contre, allier à mes qualités de coeur et de sentiments, une volonté d'agir, de faire, fera de moi une personnalité équilibrée où mes valeurs yin et mes valeurs yang seront en harmonie, chacune occupant sa juste place.
A l'image du symbole yin/yang, en chacun de nous, homme, femme, deux énergies cherchent à s'unir pour faire de nous un être complet.
Ici et maintenant.
Je vis en couple et nous nous plaçons, par choix, spirituel ou autre, dans une perspective tantrique. Ma compagne, mon compagnon est d'un sexe différent du mien; ses énergies sont complémentaires à celles qui m'habitent. Nous souhaitons, elle/lui et moi, vivre une relation la plus complète, la plus gratifiante pour chacun de nous. Tout mon "travail", à moi qui suis masculin, sera de reconnaître en ma compagne ses qualités féminines, voir en elle l'image de la Déesse, de la Shakti. Et, le plus difficile, laisser fleurir en moi mon féminin, cette part de la Shakti sans qui je ne pourrais prétendre être, me sentir complètement vivant. Bien sûr, il s'agit, aussi, pour ma compagne, de reconnaître en moi l'essence du Shiva qui m'habite et de laisser s'exprimer en elle cette part du Shiva qui l'habite.
Par ce transfert et comme le tantra ne cesse de le répéter: tout est divin, du plus petit atome humain aux galaxies de l'univers- reconnaître en l'autre une part de moi-même c'est accéder à la nature divine de l'être humain, faire un avec l'autre tout en respectant les différences qui nous habitent, l'un l'autre.
Comment vivre, au quotidien, cette relation de couple où chacun se reconnaît dans l'autre?
A l'évidence, ce n'est pas forcément facile. Mes petits défauts qui l'agacent fort et auxquels je tiens forcément car ils servent à soutenir ma personnalité, ses petites manies qu'elle manifeste dans le quotidien et qui, dit-elle, font son charme, si ils/elles font partie de nos différences, peuvent être gommées, signe que nous essayons de nous rapprocher l'un de l'autre, en nous respectant; elles ne sont pas les fondements de notre être intérieur mais plus un apport, une adaptation à notre environnement.
Plus fondamental, par contre, est l'attention que je vais manifester à son égard, à ses désirs. Je vais être plus à l'écoute et agir en conséquence. M'ouvrir à son être intérieur, à ce qui la différencie de moi, cette féminité que je possède aussi et que je méconnais. Ainsi, pas à pas, en se rapprochant l'un de l'autre, en se re-connaissant mutuellement, peux t'on espérer être mieux reconnu dans sa propre spécificité et, par là même, accéder à des niveaux de conscience élargie.
Les différents niveaux de relation: sexe, coeur, conscience.
Quand un couple se découvre amoureux, que se passe t'il? Comment est-on attiré par l'autre? A quel niveau se situe cette attraction?
Le tantra, mais aussi beaucoup d'autres traditions, distingue chez l'humain différents niveaux d'être, correspondant aux différents niveaux de conscience, d'énergie. Du plus matériel au plus spirituel, en montant l'échelle des chakras, de la conscience la plus involuée dans la matière à la conscience la plus raffinée, subtile des plans élevés de l'être.
Quand nous relationnons avec une autre personne, nous nous situons à un niveau de conscience particulier, fonction du jeu d'attraction et de répulsion qui agit dans ce moment là et de l'objet de cette relation. Ainsi, quand nous engageons une relation d'affaire, de travail, nous pouvons nous situer sur un plan intellectuel un plan élevé d'énergie. Si nous y mêlons des considérations d'ordre affectif, car notre travail nous «tient à coeur», nous nous situons sur un plan émotionnel, le plan du coeur. Et si, par hasard, cette personne est du sexe opposé au notre et qu'une certaine attirance physique agit, nous nous situons aussi sur le plan de l'attraction/répulsion sexuelle.
Il en est de même dans la relation amoureuse. Je peux rencontrer l'autre sur différents plans de conscience: du plus impulsif et instinctuel, le sexe, en passant par le plan émotionnel, sentimental de l'amour/tendresse jusqu'au plan des affinités idéalistes et spirituelles, voire intellectuelles. Ma rencontre avec l'autre se situe, en général, sur ses trois plans à la fois, avec une part plus ou moins importante de l'un par rapport aux autres. Ma rencontre n'est pas «équilibrée». Domine souvent la prépondérance de l'attraction physique, sexuelle, au premier abord; sur laquelle se rajoutera le sentiment, voire l'affinité idéaliste. Tout aussi bien, je peux relationner uniquement aux plans émotionnel et spirituel et délaisser le plan du corps physique. On peut ainsi multiplier à l'infini les exemples
Disons, pour faire bref, que dans ma rencontre amoureuse de l'autre, prédomine un plan d'attraction: au niveau physique et sexuel, au niveau du coeur et des sentiments, au niveau plus cérébral, intellectuel, spirituel. L'amour se trouve sur ces trois plans, mais pris individuellement, cet amour est imparfait, déséquillibré et notre relation aura des difficultés à aller vers une plénitude.
Au premier niveau, le sexe. Faire l'amour le plus enthousiaste possible, où je trouve en l'autre la même réponse à mes attentes que j'en apporte aux siennes, peut me remplir et me suffire, mais cela sera, un jour, bien frustrant, quand j'en voudrais plus. "Cette partie de cul" (excusez ma trivialité!) si elle satisfait pas mal d'hommes (et encore, cela leur évite de s'engager, de montrer leurs sentiments) est souvent très insatisfaisante pour la femme. Elle ne peut engager une relation sexuelle, pour la majorité d'entre-elles, que si elle y met du sentiment, du coeur, de l'amour avant le reste.
La relation sexuelle est le moment de partage le plus intime, entre un homme et une femme. C'est un moment de vérité où l'on se met à nu au sens propre et au sens figuré! en pleine lumière, si j'ose dire. Je suis alors vulnérable. Si je n'ai pas cultivé, en moi, amour, humour, tendresse et humilité, je risque fort de tomber du piédestal sur lequel je me croyais solidement installé! Mon orgueil en prends un coup, ma libido aussi, et le couple se défait, en traumatisant les deux partenaires.
L'union tantrique, une méditation.
Tantra, la voie du coeur. Oui, ici, le coeur (le centre subtil, le 4° chakra, et non l'organe physique, mais ils sont localisés au même endroit, pour cause) est le moteur de toute vie. Etre dans le coeur, reconnaître l'autre par les yeux du coeur, avant tout. Il n'est point de plus belle aventure que celle de s'ouvrir à l'autre, sans tabous, sans pudeur, sans orgueil, dans la conscience que chaque rencontre est un évènement toujours renouvelé, neuf, où tout est à redécouvrir. Quelques qualités à développer sont nécessaires : confiance en soi, confiance en l'autre, humilité de soi, respect mutuel, tendresse. Ajoutez-y quelques zestes de contrôle de vos énergies (surtout pour les hommes), la conscience de votre environnement, de vous-même.
Créez un cadre propice au rituel avec fleurs, encens, musique douce et porteuse, lumière tamisée, fruits et autres nourritures à s'offrir, tout espace propice à la méditation. Baignez votre corps dans quelques essences parfumées, revêtez le vêtement approprié que le partenaire aura plaisir à défaire. Soyez conscient que tout ces préparatifs induisent une attitude méditative, d'ouverture à l'aventure, de moment privilégié et sacré. Puis plongez, laissez votre créativité, votre intuition s'ex primer, laissez-vous vous émerveiller par la rencontre.
Consciemment ralentissez. Si la rencontre se passe au niveau du coeur, le regard que vous porterez à votre partenaire est essentiel. C'est par les yeux que nous transmettons une grande part de nos sentiments. La possibilité de regarder l'autre dans les yeux, de plonger dans son regard avec innocence, amour et respect est la première porte de l'union tantrique; Les yeux sont les instruments du coeur, la porte de l'âme. Considérez votre partenaire comme divin, oui, malgré les nombreuses heures que vous avez déjà passé ensemble; redécouvrez-le, comme le premier jour de votre rencontre. Vous êtes dans un espace sacré que vous avez créé et vous communiez. Si vous vous noyez dans son regard, ne le noyez pas de vos paroles, même les plus romantiques et amoureuses, laissez le temps agir, s'allonger, ralentissez.
Prenez plaisir à redécouvrir son corps chéri avec tendresse, explorez-le, face à face, massez-vous mutuellement. Laissez vos doigts glisser sur la peau de votre partenaire, goûtez-en la texture, la couleur, laissez votre odorat participer à cette fête. Embrassez-vous avec délicatesse, avec fougue, ne laissez pas votre langue inactive et explorez ce corps chéri sous toutes ces facettes. Laissez votre désir monter, découvrez le désir dans les yeux de votre partenaire, n'approchez de son sexe, pour le caresser, ou activer son désir, qu'au tout derniers instants de cette re-découverte. Ralentissez.
Offrez-vous de ces gourmandises que vous avez préparé. Remerciez-vous mutuellement pour ces instants intemporels par quelques paroles senties.
`Je vous laisse avec votre sensibilité quant à la re-découverte l'un de l'autre; les jeux sont multiples : caresser, masser, palper, goûter, humer... N'oubliez pas la bonne humeur et le rire ! Et ne commencez l'union proprement dite que lorsque vos deux énergies sont à l'unisson, que le désir de l'un soit en harmonie avec le désir de l'autre. Alors, peut-être, le moment est-il venu de s'intéresser au sexe de l'autre, et d'en redécouvrir les multiples contours et odeurs. Là aussi, ralentissez, prenez votre temps, accordez vous le temps de le respirer, de le goûter, de le contempler, de l'honorer.
Maintenant vient l'instant où les sexes vont s'unir, où la charge érotique est à son maximum. Regardez-vous dans les yeux, c'est essentiel. Que votre cur s'unisse à celui du partenaire, que les respirations s'accordent et se tranquilisent. Deux bouches unies, un seul souffle, deux sexes unis, une seule respiration, deux regards en un seul.
De la maîtrise du désir à l'élévation spirituelle
L'importance qu'accorde le tantra à la préparation à l'union, le rituel où les deux partenaires se considèrent mutuellement comme Shiva et Shakti créent les conditions de sacralisation de l'union et ouvrent les canaux d'accès aux plans de conscience supérieurs. Ce n'est que sous certaines conditions que l'union sexuelle devient un levier, le plus puissant de tous, pour accéder à la conscience divine. Si c'est un moyen fulgurant, les risques de manquer le but sont innombrables, et une relation peut sombrer très vite dans une copulation banale, voire dans un délire érotique. Cette énergie que l'on va mettre sous pression, cette énergie sexuelle qui tends notre désir, kundalini pour ne pas la nommer, il s'agit alors de la canaliser vers le haut. Et là, ce n'est pas une mince affaire ! Notre bonne volonté, notre spiritualité ne seront sans doute pas suffisantes. Cette énergie ne doit pas se disperser vers le bas, dans l'acmé et la résolution du désir pour la satisfaction des deux partenaires.
Interviennent alors des techniques de contrôle de soi - respiration, maîtrise de l'éjaculation et rétention séminale, postures yogiques. Car cette énergie kundalini, que l'on va réveiller par la pression qu'exerce le désir et les techniques, s'élèvera de chakra en chakra, brûlant sur son passage toute négativité bloquant son passage. Kundalini-Shakti, tel est son nom, rejoindra alors son époux, Shiva, qui siège dans le lotus aux milles pétales...
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Tantra, mon cher tantra.
Ami, commençons par briser quelques vieilles lunes et flétrissons quelques rumeurs qui empoisonnent l'atmosphère. Non, ce n'est pas un objet de licence sexuelle pour couples en mal d'expériences érotiques. Non, le sexe, tout seul, ne vous emmènera pas au Nirvana ! Cela se saurait depuis longtemps, et au lieu d'être en guerre, nous serions en amour... Mais, me direz-vous, on dit que le tantra s'appuie sur la relation sexuelle, qu'il casse les barrières de la moralité, de l'inceste même ! Les textes tantriques le disent nommément ! - "caresser les seins de sa soeur, introduire son organe dans la cavité maternelle" - . Ami, accompagne -moi. Nous allons remettre un peu d'ordre dans tout cela et essayer de comprendre.
En soi, Tantra, le tantra ne veut rien dire. Nous devons plutôt parler des tantras.
Les tantras sont des traités, issus de la tradition orale hindoue, anonymes dans leur grande majorité et qui relatent, sous forme de dialogue entre Shiva et Parvati ( Shiva, essence du principe masculin, Conscience, et Parvati, essence du principe féminin, Energie ) qui présentent très pragmatiquement, un certain nombre de techniques d'éveil spirituel utilisant comme support unique le corps humain, les différents corps devrais-je dire: corps physique, corps subtils, corps spirituel. Ces techniques ne sont que les fruits de l'expérience humaine de la réalité et sont loin de toute spéculation philosophique ou religieuse. Elles s'appuient simplement sur une vision globale de l'univers et de la place de l'être humain dans celui-ci, traduit en termes d'énergie-conscience.
J'introduis ici deux termes fondamentaux qui sous-tendent toute l'expérience tantrique: la Conscience, l'Energie. Nous rejoignons ici, par un raccourci, loin d'être audacieux, les plus récentes découvertes scientifiques de notre rationalité occidentale. Toute la manifestation se traduit en terme d'énergie. Einstein, et l'équivalence de la matière et de l'énergie, et à sa suite, tous les savants qui ont cassé l'atome pour se rendre compte, que' au final, cette énergie de la matière, dans ses manifestations les plus subtiles, devenait insaisissable, comme si elle faisait preuve de conscience pour déjouer les pièges mis en place par son observateur. Ce que nos savants, avec leurs outils très perfectionnés découvrent maintenant, les sages tantriques de l'Inde, du Tibet, de la Chine, l'avaient découvert depuis quelques millénaires, en pratiquant simplement la vigilance, l'introspection, avec pour seul outil leur propre corps. Qu'ont-ils découvert ? Que notre corps est un formidable potentiel d'énergie, et que là où nous plaçons notre conscience, l'énergie s'y déploie. Et que cette énergie ne demande qu'à s'unir, à retourner à son état indifférencié, conscience nirvanique. Que tous les efforts que nous déployons pour vivre ne font que nous éloigner de ce but originel, car nous avons mis en place un formidable contrôleur, bien utile pour pouvoir gérer les agressions de notre quotidien et notre relation au monde, à la nature, aux autres humains: le mental. Ce supra-ordinateur contrôle notre accès à tout ce qui est séparé de nous-même par l'intermédiaire de nos cinq sens: l'ouïe, la vue, le toucher, l'odorat, le goût, et nous conduit à agir grâce à nos cinq facultés d'action: la parole, la génération ( le sexe ), l'excrétion, la préhension, la locomotion. Ainsi donc, ce supra ordinateur va disséquer toutes nos relations d'origines sensorielles, les interpréter en fonction des impressions passées ( vasanas et samskaras ) qu'il a en mémoire, les classer en fonction du bien ou du mal qu'elles nous procurent pour ensuite donner un ordre, lancer une action en réponse ( par exemple: j'ai mémorisé, quand j'étais bébé que mettre ma main sur le fourneau de la cuisinière me brûlait et me créait une douleur très vive. Aussi j'ai appris à éviter cela. ) . C'est ainsi que notre personnalité, notre ego, s'est construit pour nous permettre de relationner avec les autres, avec le monde. Hormis toutes les réponses apportées par nos sens qui mettraient en péril notre intégrité corporelle, véhicule de notre conscience, de notre âme, nos affects, nos émotions, eux aussi, sont classés entre ceux qui nous font du bien et ceux qui nous font du mal et notre ego/mental y apporte la réponse appropriée en fonction de notre expérience passée: inhibition, fuite, agression, haine, élan amoureux, ouverture, compréhension...
Energie, Conscience, les deux pôles de l'être humain
Nos sages tantriques ont développé une cartographie de l'être humain qui met en correspondance tel ou tel type d'évènement, qu'il soit d'ordre physique, émotionnel, psychique ou spirituel avec telle ou telle partie de l'espace intérieur ou matériel qui compose un être humain. Vous savez bien que lorsque vous recevez une forte émotion amoureuse, par exemple, vous ressentez une douce chaleur qui rayonne au niveau de la poitrine ou siège le coeur physique et, lorsque vous avez à répondre fermement, à défendre votre territoire, vous sentez votre ventre réagir, et se remplir ( ou se vider ) d'énergie ! Je ne m'étendrais pas à développer cette cartographie, il existe quantité d'ouvrages sérieux qui nous parlerons des différents corps: physique, émotionnel, subtil, spirituel, des nadis, les canaux subtils véhicules de cette énergie et dont l'acupuncture nous en donne l'image la plus familière, des fameux chakras, portes permettant de faire communiquer entre-eux des niveaux de plus en plus subtils de notre entité humaine, de la matière/énergie la plus dense et grossière à l'énergie/matière la plus raffinée, la plus proche de cette conscience nirvanique.
Et l'énergie, la conscience dans tout ça ? J'y viens, c'est là où je plonge dans l'expérience tantrique. Si notre idéal humain est de nous éveiller spirituellement et d'atteindre cette plénitude d'amour que l'on rencontre parfois chez ceux que l'on appelle «êtres éveillés» justement, l'expérience tantrique est peut-être celle qui nous permet de plonger le plus radicalement possible. Elle ne s'embarrasse pas de métaphores et de concepts, elle est radicalement pragmatique. Ici, il n'est nul besoin de se couper du monde, d'entrer en retraite monastique ou autre, de réfréner ses désirs impétueux. Vivre notre quotidien, nos activités habituelles même les plus triviales. Tout est fait, utilisé pour dérouter, déstabiliser le mental et l'ego, lui faire perdre ses repères et son contrôle afin de libérer l'énergie salvatrice. Toutes nos émotions, nos affects sont mis à contribution. Point de répression ou de sublimation sur tel ou tel désir, telle ou telle émotion: juste les laisser vivre sans les bloquer, et regarder, constater ce qui bouge intérieurement. Laisser ces manifestations de l'énergie se développer intérieurement, circuler en nous, ne rien réprimer qui engendrerait une frustration. Mais attention, facile à dire ! Si nous n'avons pas l'attitude juste, la conscience que nous vivons en société avec le respect de ses règles éthiques et morales ( même si elles ne nous conviennent pas ) le retour de bâton sera féroce ! Notre ego sera raboté, se rebellera pour reprendre ses droits, et nous éloignera du résultat attendu. Aussi la nécessité d'avoir un référent - comme on dit en psychanalyse - un enseignant, maître ou guru, plus avancé que nous sur cette voie, est-elle indispensable. Lui ( ou elle ) seul saura nous aider à canaliser cette énergie mise en mouvement, à l'utiliser positivement pour l'élévation de notre être.
Kundalini
Toutes les pratiques tantriques s'appuient sur ces deux pôles et inter-agissent sur eux. Et il y a autant de techniques que d'activités humaines. Le plus ancien traité connu, le Vijnana Bhairava Tantra, recense 112 techniques, de la plus simple et triviale, observer sa respiration, à la plus «intellectuelle», s'absorber dans la contemplation de l'indifférencié. Parmi celles-ci, 4 seulement concernent l'union sexuelle avec un partenaire de sexe opposé. Certaines d'entre-elles vont nous aider à réveiller et à canaliser cette énergie: c'est le cas du kundalini-yoga qui utilise respirations contrôlées, sons des mantras, visualisations, postures dynamiques et statiques.
D'où vient-elle cette énergie ? Où est-elle condensée ? Eh bien, c'est notre énergie de vie, notre énergie sexuelle. D'après la tradition, Kundalini, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, dort, enroulée trois fois et demi sur elle-même, au 2° chakra, à quelques cm au dessus du périnée. Nous utilisons, quotidiennement cette énergie pour toutes les actions que nous sommes amenés à effectuer, consciemment ou inconsciemment. Elle circule et nous alimente, si je puis dire, plus ou moins bien selon l'état physique, psychique, spirituel qui est le notre, et selon les blocages qu'elle rencontre à tel ou tel niveau de l'être. Mais nous ne nous en servons, de manière automatique, qu'à un faible niveau de ses possibilités de puissance. Nous la déployons au maximum de nos possibilités dans la relation sexuelle, bien sûr, dans ces instants où nous nous abandonnons à l'autre, mais aussi, dans ces instants de stress extrême où notre vie est en danger réel et imminent.
Livrée à elle-même, mal canalisée, où si nos buts ne sont pas purs et nos intentions purifiées par l'amour désintéressé, cette énergie peut être destructrice pour nous et nous conduire à la mégalomanie, à la schizophrénie... au dérèglement des sens, au lieu de purifier nos canaux subtils et élever notre niveau de conscience. Ainsi, ils en est qui privilégient la relation sexuelle tantrique avec l'utilisation de techniques de rétention séminale, mais avec une ouverture du coeur non suffisamment préparée et qui sombrent alors dans un échange, certes de qualité érotique, voire spirituel incontestable, mais néanmoins dépourvu de toute stabilité car entaché encore par un désir du partenaire. Les maîtres de la tradition, tous les textes tantriques sérieux réservent l'accession à la félicité d'être par cette voie à des individus longuement préparés par une sadhana (pratique, cheminement spirituel) intensive où ne subsiste plus un germe d'attachement humain. Dans ce cadre, les deux partenaires ne sont plus homme et femme, mais Shiva et Shakti, chacun reconnaissant en l'autre, non l'être humain, mais le principe masculin et le principe féminin.
J'aborde, ici, la polarité, qui est une donnée essentielle de l'esprit du tantra. Nous parlons souvent de nos parts masculine et féminine, côté droit, côté gauche, cerveau gauche, cerveau droit. Un aspect de nous, le masculin, sous-tendant nos énergies d'action, de pouvoir et de puissance, et un aspect féminin, sous-tendant nos énergies d'ouverture, d'accueil, de sensibilité, d'amour. Shiva, Shakti aussi en nous, avec prépondérance d'une polarité sur l'autre, selon que l'on est de sexe masculin ou de sexe féminin. Aller vers la réalisation de soi, c'est aller vers l'union ( unio mystica des alchimistes) du masculin et du féminin en nous, reconnaître l'existence de ses deux énergie en nous, et par les techniques appropriées, réaliser cette fusion.
Le sexe, le coeur dans la sadhana tantrique.
J'ai déjà soulevé la question du sexe. Abordons maintenant les paysages du coeur sans qui aucun progrès spirituel ne peut être durable sinon conduire à la construction d'un bel ego spirituel !
Souvent oublié, surtout par beaucoup d'occidentaux tentés par l'aventure tantrique, il est au centre de toutes les pratiques tantriques. Sans ouverture du coeur, sans éveil de sa sensibilité féminine, pour l'homme, point de salut. Le coeur, le chakra du coeur, au milieu de la poitrine, est le filtre purificateur de toutes nos émotions, de nos désirs mal dirigés. La mièvrerie n'y a pas cours, la sensiblerie non plus. Sans amour désintéressé, sans humilité ( cela ne veut pas dire sans expression de sa puissance !), tout chemin spirituel est illusoire, et le tantra n'y échappe pas.
Aller vers l'autre, se reconnaître dans l'autre, échanger avec l'autre à tous les niveaux de conscience, depuis le sexe jusqu'aux plans les plus éthérés, c'est la base de la sadhana tantrique qui se veut une voie d'accès au divin, dans le monde, avec une vie de famille, une activité professionnelle et non dans le renoncement, cloîtré dans un monastère où ne sont privilégiés que les plans du haut, en coupant, sans leur donner la possibilité de s'exprimer, les plans du bas, sexualité, vie de famille, relations sociales et professionnelles. Sans un coeur purifié, prêt à reconnaître l'autre dans ce qu'il est - l'autre, parfait miroir ne nous-même - l'autre, avec ses manques, ses faiblesses, sa vie ordinaire, il serait encore illusoire d'envisager un quelconque progrès pour nous-même. Et la sexualité sans amour ne serait qu'un banal rééquilibrage de nos nerfs fatigués...
Tantra, la voie du coeur.
Oui, Tantra, la voie du coeur. Avec un coeur ouvert, construit, accueillant, qui nous permet de nous respecter pour ce que nous sommes tout en respectant l'autre dans ce qu'il est. Et si la sadhana tantrique fait souvent référence au guru, il s'agit avant tout de notre maître intérieur qui siège dans notre coeur.
Sat Nam.
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Chants mystiques du tantrisme cachemirien, de Lalla
Lalla est à la fois la poétesse tantrique la plus étincelante, une grande mystique et l'artisane d'un profond rapprochement avec les soufis qui la considéraient comme l'une des leurs.
Lalla ne chante pas seulement l'éclosion spirituelle, mais elle dit avec ferveur les tourments de l'âme, les attentes, les doutes, l'incandescence des sentiments et l'amour divin à travers l'intégration de la réalité sensible.
Son oeuvre marque l'apogée, au quatorzième siècle, du courant tantrique qui dès le début de notre ère a profondément influencé l'hindouisme, le bouddhisme tibétain et le ch'an en proclamant l'identité fondamentale de tout être avec le divin et en affirmant que la Conscience habite chaque particule de l'univers
Le froid intense peut transformer
L'eau en neige ou en glace.
L'eau se présente ainsi sous trois formes.
Mais éclairé par le soleil de la conscience suprême
Tout se dissout en une substance cosmique.
L'univers animé, l'univers inanimé,
Ne sont autre que Shiva.
***
La Réalité n'est pas atteinte par le contrôle de soi,
les pratiques ascétiques
et la continence.
Mais par un désir incandescent.
Même après t'être dissoute en cette Réalité
Comme sel dans l'eau
Il est difficile de baigner dans le Soi.
***
Le geste quotidien est le rituel
Le mot qui sort de ma bouche,
le mantra.
Tout ce qui se manifeste en mon corps
Est le signe de cette absolue reconnaissance.
Voici révélé dans sa totalité
le tantra du Suprême Shiva.
***
Je me suis épuisée à la recherche du Soi.
Qui aurait pu avoir accès à la connaissance
Silencieusement lovée au creux de mon être intime ?
Je m'y suis coulée,
Et là, j'ai découvert les coupes
Débordantes de nectar
Auxquelles peu d'êtres portent leurs lèvres.
***
La voie de la Connaissance
Est un jardin fertile
Arrose-le avec l'eau de l'adoration
Dans la plénitude de l'acte
Alors, peu à peu, tu offres à la Shakti
Les fruits de ce jardin
Où la liberté surgit de la nudité absolue.
***
L'esprit humain ne peut trouver satisfaction
Dans le pouvoir, serait-ce celui d'un roi.
Il ne peut trouver satisfaction en renonçant au monde
Mais il la trouve en revenant sans cesse à sa propre source.
***
Voyageant à travers les étendues de l'absolu,
Moi, Lalla, j'ai perdu corps et mental,
Devenue consciente du secret du Soi,
Pour moi, Lalla,
Le lotus a fleuri dans la vase.
***
Comme la Lune allait disparaître
J'ai chanté la folie de mon coeur tourmenté,
mis à nu par l'amour de Shiva.
J'ai crié : Je cherche la vérité ! Je cherche la réalité !
Le rubis du Soi éveillé, je m'y suis absorbée
et mon corps est devenu le réceptacle du divin.
***
J'ai toujours su que mon corps et le Tien
Ne faisaient qu'un.
Tu es moi, je suis Toi,
Mais il me reste encore à connaître
La fusion de Ton corps et du mien.
Qui es-tu ?
Qui suis-je ?
Cette union intime, je ne l'ai pas encore vécue.
***
Celui qui ne voit plus de différence
Entre lui-même et l'absolu,
Celui qui ne sépare plus
Lumière intérieure et obscurcissement
Peut développer, dans l'égalité du coeur,
La conscience non duelle.
Lui seul peut voir le guru des gurus.
© Editions du Seuil, 2000
extrait de "Chants mystiques du tantrisme cachemirien"
présentation et traduction de l'anglais par Daniel Odier
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